Gustave de Molinari’s “Last Words” (1911)

[Created: July 28, 2013]
[Updated: 28 July, 2013]

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Gustave de Molinari, Ultima verba: mon dernier ouvrage (Paris: V. Giard & E. Brière, 1911). "Préface," pp. i-xvii.

 

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Introduction

We have chosen two extracts to frame the beginning and end of our anthology of classical liberal writings from the long 19th century between the Napoleonic Empire and the outbreak of the First World War. These 2 extracts show the optimism liberals had at the start of the century and their ultimate realization that the intellectual and economic tide had turned against them by the end. 

We began with Benjamin Constant’s optimistic hopes for a liberal century of ever growing liberty and prosperity in which the full potential of human perfectibility would begin to reveal itself. We end with a much more pessimistic and realistic account from Gustave de Molinari (1819-1912), one of the longest surviving classical liberals of the 19th century whose life spanned the Restoration of the Bourbon Monarchy and the arms race and tariff wars which preceded the outbreak of the First World War. We can see that he went from the extreme optimism of 1849 when he wrote “The Production of Security” in which he argued that the free market could supply all services including that of police and national defense, to the pessimistic and deeply realistic book which he wrote the year before he died, Ultima verba: mon dernier ouvrage (1911). Here he expresses his undying hope for an eventual liberal future but it is tinged with the grim realization that the forces of socialism, protectionism, militarism, and statism are resurgent and are in the ascendant and that before liberty can and will be eventually realised, the 20th century will see mass destruction caused by world war and economic collapse. Only after these catastrophes have run their course will the liberal agenda which was articulated during the “Golden Age” be able to be realised in full.

 


 

PREFACE

Presque arrivé aux limites de la vie humaine — je suis maintenant dans ma 92e année — je vais publier mon dernier ouvrage. Il concerne tout ce qui a rempli ma vie: la liberté des échanges et la paix. Mais quoique la sphère de la paix se soit prodigieusement élargie et que les souverains prodiguent les démonstrations pacifiques, ces idées fondamentales sont partout en baisse. Pourtant il semblait vers le milieu du XIXe siècle qu'elles dussent désormais régir le monde civilisé. Le roi Louis-Philippe ne disait-il pas dans sa réponse à une députation « que la guerre coûtait trop cher et qu'on ne la ferait plus ».

Ces dispositions pacifiques avaient des antécédents: Henri IV endoctriné par Sully avait déclaré qu'il n'y aurait plus de guerre entre les prince chrétiens. Au XVIIIe siècle, l'abbé de Saint-Pierre s'était fait le bienfaisant propagateur des idées pacifiques et l'abbé Coyer engageait la noblesse à adopter un état plus lucratif quo le métier des armes. Telle était alors la force du mouvement pacifique que Turgot votait sans hésiter le maintien de la paix avec l'Angleterre, en dépit des velléités belliqueuses de la jeune noblesse, qui allait aider à conquérir l'indépendance des possessions anglaises d'Amérique. A la fin des hostilités, sous l'influence des physiocrates, et peut-être d'Adam Smith, le traité de 1786 lia la France et l'Angleterre par une convention qui serait aujourd'hui considérée comme un triomphe libre-échangiste.

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Mais la Révolution devait bientôt ajourner pour longtemps l'application des principes de paix et de liberté. Après vingt-cinq années de guerre, les puissances européennes célébraient au Congrès de Vienne le retour de la paix générale et réduisaient à deux milliards la somme de leur appareil de guerre. — Elles ne devaient pas tarder à l'augmenter: les dépenses militaires et navales atteignent aujourd'hui, dans l'ensemble des pays civilisés, plus de douze milliards en pleine paix. Le budget de la France, qui à la veille de la Révolution était d'environ cinq cent millions, dépasse aujourd'hui quatre milliards dont la majeure partie est employée à préparer la guerre ou à solder les dettes laissées par les guerres antérieures. — Mais le milieu du XIXe siècle a vu surgir une recrudescence de l'esprit militaire; les conflits se sont multipliés: on a vu éclater les guerres d'Italie, de Crimée, austro-allemande, de Sécession, répression do la révolte des Sicks aux Indes, guerre franco-allemande, russo-turque, italo-abyssine, turco-grecque, hispano-américaine, russo-japonaise et marocaine qui ont éloigné les grandes espérances que les Congrès et les Ligues contre la guerre avaient fait concevoir. Les manifestations pacifiques dont le souverain de Russie avait pris l'initiative n'ont pas empêché les grandes puissances de décupler leurs armements. Et cependant la sécurité s'est considérablement accrue. I1 n'y a plus guère de peuples qui demandent à la guerre l'augmentation de leurs ressources. Au contraire, les nations victorieuses, aussi bien que les vaincues, voient s'aggraver leur dette. Autrefois la guerre était profitable à ceux qui l'entreprenaient, s'ils étaient vainqueurs, car ils conquéraient des provinces pu des royaumes qui augmentaient d'une manière permanente les bénéfices de la guerre, témoin la conquête de l'Angleterre par les Normands. Mais cette situation a changé; il n'est aucune guerre qui profite à ceux qui l'entreprennent, même s'ils sont vainqueurs: les profits qu'ils en retirent sont inférieurs à ce que vaudrait l'échange de leurs produits contre ceux d'une contrée réputée ennemie. C'est ainsi qu'il en a coûté à l'Allemagne une somme supérieure aux cinq milliards que lui avait rapporté le conflit avec la France: les armements auxquels l'a entraînée la crainte d'une revanche ont beaucoup dépassé les profits de l'annexion d'une province et de la contribution de guerre. N'oublions pas que les bénéfices en ont été perçus par une classe peu nombreuse de la population, alors que le fardeau de l'impôt a été alourdi pour les autres.

Cependant depuis près d'un demi-siècle les intérêts militaires ont toujours paru prendre une prépondérance de plus en plus grande. C'est une contradiction qui tient à ce que, dans l'ensemble des nations, les gouvernements et la classe sur laquelle ils s'appuient de préférence sont ou se croient intéressés à l'état do guerre. Il est évident que la situation des classes influentes n'a pas été amoindrie par la guerre: même en Amérique la guerre de Sécession qui avait ruiné les provinces vaincues a occasionné aux provinces du Nord et aux industriels dé l'Est vainqueurs une recrudescence de protectionnisme qui a abouti au régime des trusts et engendré les milliardaires. En Allemagne, la classe militaire a vu sa puissance augmenter par l'accroissement des budgets de la guerre et de la marine, et les industriels ont exhaussé leurs bénéfices grâce aux tarifs protecteurs, mais la masse a vu enchérir ses denrées alimentaires et s'accumuler les emprunts dont elle doit, en définitive, payer les frais sans cesse croissants. Aussi les classes dominantes ont-elles intérêt à conserver la propriété des masses gouvernées qui leur fournissent la plupart des revenus militaires ou civils dont elles vivent.

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Si, à l'encontre de ce que l'on espérait au début de ma carrière, en ces premières années du XXe siècle on peut constater le progrès des sentiments belliqueux dans les classes supérieures, on doit remarquer aussi que, dans ce même intervalle, le protectionnisme s'est étendu sur tout le monde civilisé, à l'exception de l'Angleterre restée jusqu'ici libre-échangiste. Cependant je demeure toujours un ferme partisan de la paix et de la liberté. Ce qui me fait croire à leur triomphe final c'est que des progrès de tout genre ont multiplié les échanges et diminué ainsi le coût de la vie tandis que là guerre a pour résultat de l'enchérir. Il y a ainsi entre la guerre et la paix une différence fondamentale. On ne peut pas dire que la guerre travaille gratis, même si elle est victorieuse, tandis que l'échange augmente quand même les profits des deux parties. Ce qui redouble mes espérances, c'est que depuis un siècle la face du monde a été modifiée: innombrables inventions, grâce auxquelles la richesse s'est développée et multipliée, ont ajouté à l'agrément de l'existence. La guerre empêche la richesse de s'accroître; elle a pour effet d'augmenter les frais de production tandis que les inventions ont généralement pour but de les abaisser. Cependant les inventions n'ont pas seulement pour résultat de rendre la vie meilleure, au contraire elles ont aussi perfectionné l'art de la guerre: fusils et canons ont augmenté leur portée destructive, on a ajouté aux anciens de nouveaux engins destructifs: torpilles, sous-marins, dirigeables et aéroplanes même, dynamite et autres explosifs. Enfin chaque jour apporte son perfectionnement dans l'art d'anéantir ses semblables et les fruits de leur activité, on sorte que les inventions qui ont pour objet de détruire pourraient bien dépasser celles qui concourent à améliorer le sort de l'humanité; les peuples seront ainsi obligés, s'ils ne se resaisissent promptement, de supporter le coût croissant de la guerre et de ses préparatifs. Le pourront-ils longtemps?

Durant une assez longue période après la fin des guerres du premier Empire, le monde avait joui de la paix. On avait donc alors quelque raison de croire que la guerre cesserait de ravager le monde. Les Congrès de la paix commençaient à se multiplier. La liberté des échanges trouvait aussi d'ardents protagonistes. En Angleterre les réformes de M. Huskisson faisaient prévoir la disparition du protectionnisme, celles auxquelles Richard Cobden et Robert Peel ont attaché leur nom annonçaient sa fin prochaine. On pouvait se flatter de l'espoir que la civilisation aurait pour auxiliaire la paix et la liberté et que de cette époque daterait la cessation de l'hostilité des peuples. Les révolutions et les guerres ne tardèrent pas â faire rompre la paix et reparaître le protectionnisme. Les tarifs des douanes ont continué à séparer les nations, et même on peut craindre l'accroissement et l'extension du régime protecteur.

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Cependant depuis plus d'un demi-siècle une véritable efflorescence a commencé à changer la face du monde. Dans le cours de ma longue existence j'ai vu naître les chemins de fer dont le réseau atteint actuellement un million de kilomètres. Des vapeurs traversent aujourd'hui les océans. L'électricité transmet les pensées du monde entier. La photographie est devenue l'auxiliaire des relations. Dans mon enfance on n'écrivait qu'avec des plumes d'oie; on ne connaissait pas plus les plumes métalliques que les timbres-postes ou la bougie, le gaz venait à peine de naître. Des milliers d'inventions facilitent la vie. Même les fruits de l'intelligence étaient alors moins nombreux et commençaient seulement à se répandre dans les masses. L'état mental actuel des esprits est à peine comparable à ce qu'il était à la veille du commencement du XIXe siècle. Mais l'état moral de l'humanité est inférieur à celui de son intelligence. De là, la grande crise dans laquelle se débattent aujourd'hui lés sociétés en voie de civilisation. On pourrait presque les comparer à ces gens auxquels les hasards de la loterie procurant soudainement un million ont modifié du jour au lendemain leur existence matérielle sans rien changer à leur état intellectuel: la plupart de ces gagnants ne songent qu'à améliorer leur bien-être matériel, quand ils ne se livrent pas aux pires jouissances, mais leur moralité reste la même, si même elle ne s'abaisse pas. C'est pourquoi l'on peut presque dire que le progrès de la civilisation s'est plutôt ralenti que précipité, car il dépend à la fois de l'intelligence et de là moralité.

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A peu près au même moment que cette efflorescence des inventions est apparu le socialisme.

C'est une tendance devenue universelle de renverser les gouvernements pour leur substituer un régime égalitaire. Le socialisme ne trouve, en somme, une absolue résistance que dans les classes dont il bouleverse les moyens d'existence. Jusqu'à présent il n'a pas découvert un système propre à remplacer l'ancien régime sous lequel l'humanité à vécu, quelques diverses qu'en aient été les formes. Il a suscité des révolutions et des guerres civiles et selon tout apparence il en suscitera encore d'autres.

Mais quel est le régime préconisé par le socialisme? Né de l'ensemble des souffrances que les peuples ont éprouvées du fait de leurs dominateurs, ils en voient le remède dans la propriété d'eux-mêmes. Ils travaillent, en conséquence, à expulser leurs dominateurs et à les remplacer par un gouvernement issu d'eux-mêmes: c'est ainsi qu'est né le gouvernement parlementaire ou constitutionnel. Et dans l'ignorance des lois naturelles par lesquelles la Providence gouverne les hommes en se bornant à en prescrire l'observation, -ils ont institué des lois multiples, plus souvent nuisibles qu'utiles à ceux qu'ils voulaient protéger. C'est pourquoi le socialisme, dans l'ensemble de ses systèmes, en admettant qu'il réussisse à les installer, aboutirait à la ruine des sociétés. Et les chefs d'Etats, monarchistes ou républicains, quels que soient les mobiles auxquels ils obéissent, ont tort de leur céder, même s'ils sont poussés par les sentiments les plus purs et les plus élevés tels que ceux de la philanthropie.

Sans qu'il y paraisse, le régime parlementaire et constitutionnel aboutit au socialisme car de socialisme n'est autre chose que l'appropriation de tous les moyens de se procurer des richesses, y compris la direction de la société. Le régime constitutionnel et parlementaire est demeuré la propriété des classes supérieures qui se sont enrichies et possèdent la plus grande partie des moyens de subsistance. C'est pourquoi elles sont dénommées classe capitaliste et sont plus que jamais l'objet d'une envieuse considération. Mais le socialisme veut s'emparer de la richesse existante. La lutte entre le socialisme et le capitalisme est donc éternelle. Cependant, il est avéré que dès que les socialistes deviennent capitalistes, ils changent d'opinion et deviennent à leur tour les défenseurs du capital. Ils cèdent le moins possible au socialisme et c'est ainsi qu'on a pu dire, en modifiant les termes, qu'un jacobin ministre n'est pas nécessairement un ministre jacobin.

La direction de l'Etat est l'objet du régime parlementaire auquel presque tous les anciens maîtres des Etats se sont ralliés en considérant les avantages matériels qu'ils y trouvent.

La Révolution a simplement changé l'apparence du régime qui jusque-là avait été dominant. Les monarques étaient jusqu'alors considérés comme les propriétaires de leurs peuples; la Révolution a changé nominalement cet état de choses: les peuples devenus propriétaires d'eux-mêmes sont désormais chargés de se gouverner. Ils ont d'abord élaboré une constitution édictant leurs droits et leurs devoirs. Mais ils sont incapables de se conduire, et, en fait, ce régime n'est autre que la domination d'une classe sur la multitude. Cette domination d'une classe gouvernante peu nombreuse excite l'opposition de la masse exclue du gouvernement. Aussi, bien qu'il n'y ait qu'une classe qui exerce lé pouvoir et une opposition, comme il y a une masse électorale à peu près illimitée, on a vu se multiplier les partis avides de gouverner. Mais, que ce soit monarchie ou république, on peut constater la cherté progressive du gouvernement car la classe bureaucratique qui en dépend s'est prodigieusement accrue. Le gouvernement à bon marché semble plus que jamais devenir une utopie puisque le régime constitutionnel augmente encore ainsi les frais du gouvernement belliqueux et protectionniste quoiqu'il les reporte souvent, sur les générations futures en les laissant responsables de ses emprunts et de ses dettes.

On s'imagine communément que ce régime est le plus parfait possible, pourtant on remarque de nombreux symptômes de décadence même chez les peuples les plus avancés en civilisation. Nous croyons qu'il sera perfectionné comme l'a été la machine à vapeur et le métier à tisser. Et déjà l'on peut conjecturer ce que seront ces progrès en voyant quelles évolutions ont subies les entreprises financières ou industrielles. Mais si le perfectionnement du régime constitutionnel est possible, il peut aussi être retardé à cause du grand nombre d'individus incapables qui remplissent les devoirs électoraux. Nous ne parlons pas de l'extension aux femmes du droit de vote, que nous ne souhaitons pas, bien que nous soyons tout l'opposé d'un antiféministe, parce que plus il y aura d'électeurs, plus les résultats seront mauvais. Et ce n'est pourtant pas déjà brillant. Si l'on regarde d'un peu près les faits et gestes des représentants du peuple, on aperçoit partout leur inconséquence: En Espagne les uns consentent à laisser fusiller Ferrer sous prétexte qu'il enseignait une morale contraire à celle du gouvernement, qui n'en a pas, et les autres sous prétexte de libéralisme, rompent avec le Pape à propos d'associations religieuses qui conviennent à certains partis mais non à tous. En France ils ont confisqué des biens et prononcé le bannissement de religieux et religieuses qui enseignaient une doctrine qui leur déplaisait; pour accomplir ce travail ils se sont adjugé individuellement quinze mille francs par an! En Belgique, nous avons été témoin d'une enquête libérale dirigée contre les pauvres femmes qui faisaient donner à leurs enfants l'enseignement congréganiste, le résultat a été d'amener le parti clérical au pouvoir, où il se maintient depuis vingt-six ans malgré la rancune d'une partie des électeurs mécontents de le voir monopoliser places et faveurs du gouvernement pour ses créatures au détriment de l'industrie et du commerce qui en font les frais. En Allemagne, les représentants du peuple se montrent les humbles serviteurs du gouvernement qui opprime les anciens sujets du Danemark et les Polonais obligés à un service militaire et à des impôts qu'ils ne doivent pas. En Russie, la Douma a accepté le transfert au peuple des charges et emprunts de là guerre avec le Japon et a, en outre, ratifié le despotisme infligé aux Juifs, aux Polonais et aux Irlandais. En Amérique, les représentants du peuple ont ratifié la confiscation des intérêts des vaincus des Etats du Sud au profit des industriels protectionnistes du Nord et de l'Est qui en ont profité pour accaparer les industries protégées, d'où découlent les trusts avec les milliardaires, et remplacé l'esclavage par le mépris et le lynchage des noirs. Leurs politiciens sont pour la plupart tellement décriés que les honnêtes gens ne veulent pas les recevoir... et le malheur est qu'en nombre d'autres pays ils commencent aussi à glisser sur cette pente. En Italie ils ont augmenté le fardeau des impôts dans des proportions telles que l'émigration s'y est développée d'une façon intense. En Angleterre des scènes de pugilat se sont produites en plein Parlement de même qu'en Autriche-Hongrie où les antisémites se livrent à leurs fureurs et les diverses nationalités à leurs disputes pour la prééminence dans la direction des affaires de l'Empire, ne retrouvant un peu d'accord que lorsqu'il s'agit de s'emparer du bien d'autrui comme l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, par exemple. En Turquie, ne voit-on pas aussi une petite coterie, sorte de comité directeur, s'efforcer de faire prévaloir les intérêts du « turquisme » au lieu de régir équitablement ceux de toutes les populations qui forment l'ensemble du pays. Tels ont été quelques-uns des faits et gestes des représentants du peuple sous le régime qualifié de constitutionnel.

Mais on peut se figurer un régime supérieur au régime constitutionnel. Et ce régime, modelé sur là constitution naturelle de l'industrie, sera énormément simplifié. Déjà les compagnies de transport, les institutions financières, les sociétés industrielles et commerciales ont un conseil d'administration dont les opérations sont surveillées par des délégués des actionnaires et aussi par ces derniers qui se réunissent une fois l'an, parfois deux, pour examiner les affaires, prendre les décisions utiles et ratifier les comptes. Ils participent aux travaux de l'assemblée suivant le nombre d'actions qu'ils possèdent. Une partie du conseil d'administration est nommée par le fondateur de l'entreprise, la ratification des autres nominations est réservée aux actionnaires après proposition du président et du Conseil. Les membres de ces conseils sont généralement rééligibles et restent en fonctions leur vie durant. Ils diffèrent peu en cela des ministres de l'ancien régime monarchique, témoin Colbert, tandis que ceux du régime constitutionnel sont devenus d'une mobilité excessive, selon l'état des partis qui se partagent les parlements. — Dans les entreprises privées, les assemblées nomment un président qui est le principal directeur des opérations de l'affaire et reçoit des appointements supérieurs à ceux des autres conseillers, sans être cependant excessifs. Ces appointements ne se comptent que par milliers de francs tandis que ceux des monarques constitutionnels, issus dé l'ancien régime, se comptent par millions. Tel est le progrès politique que nous avons en vue et qui sera suivi de tous les autres.

On pourrait objecter que la plupart des assemblées parlementaires travaillent activement et font des lois auxquelles tous les peuples de la monarchie ou de la république sont soumis bien qu'elles soient seulement l'oeuvre d'une partie du parlement. Mais on compte les lois utiles, à peine une seule sur une centaine, et les décrets d'un conseil d'administration seraient plus efficaces quoiqu'ils soient issus de la même source, savoir, de la généralité des actionnaires c'est-à-dire du suffrage universel. L'avènement du socialisme a sensiblement augmenté le nombre des lois car les socialistes ignorent en quoi consistent les lois naturelles; ils sont convaincus que celles qu'ils fabriquent sont supérieurement faites et ils en exigent l'application rigoureuse. Dans ce but leurs ministres multiplient les fonctionnaires. Mais à peu près toutes les lois inspirées par le socialisme sont faites pour une certaine classe d'hommes à laquelle elles semblent profiter bien qu'elles leur soient nuisibles. Car tout ce qui change la destination de la fortune de l'ensemble des contribuables est loin d'être toujours favorable à la richesse publique. En faisant passer les ressources dés classes favorisées de la fortuné en des mains moins capables ou plus dispendieuses et en augmentant lès dépenses militaires, le protectionnisme et le fonctionnarisme, la richesse diminuera et les dettes s'accroîtront jusqu'à ce que le pays ne puisse plus en supporter le fardeau. Peut-être est-ce ainsi que, selon toute apparence et malgré le développement progressif de la civilisation, se perdront les Etats les plus florissants. C'est de cette sorte qu'a péri le monde romain, bien autrement civilisé que la nuée des barbares qui l'entourait. Les vices intérieurs et les dépenses excessives écraseront la civilisation actuelle comme les Barbares l'ont écrasée, dans l'antiquité. Ce sera un nouveau mode de destruction non moins certain et aussi complet que le précédent.